mardi 11 octobre 2011

6 Mois de Cabane au Baïkal



Sylvain Tesson est parti s'isoler six mois en Sibérie. Il en ressort un récit sur la condition humaine et la civilisation.

Il est ressorti du supermarché d'Irkoutsk avec six Caddie pleins à ras bord de pâtes. A rajouté quelques caisses de vodka, des boîtes de cigares, une hache, une chignole à glace, des fusées anti-ours et une malle de livres - Giono, Jünger, Conrad... Six jours plus tard, un vieux camion russe le laisse, lui et son chargement, devant une petite cabane au bord du lac Baïkal. Il fait - 32 °C, le premier voisin est à cinq heures de marche. Sylvain Tesson va vivre six mois (février-juillet 2010) au milieu de cette solitude glacée. Dans les forêts de Sibérie est le journal de cette réclusion volontaire.


Oui, Sylvain Tesson, l'homme aux Vibram de vent, l'infatigable arpenteur du désert de Gobi et des cols tibétains, peut-être le plus brillant de nos écrivains voyageurs, a choisi la sédentarité : un univers de 3 mètres sur 3, où une fenêtre remplace la télévision et dont le poêle constitue le centre vital. Eloge de la routine : on casse du bois, on pêche l'omble, on guette l'ours. Mais, surtout, refus de la civilisation des villes, dont notre Walden sous Smirnoff offre, en contrepoint, un tableau effrayant : "Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus cher que l'or, écrit-il. Sur une Terre surpeuplée, surchauffée, bruyante, une cabane forestière est l'eldorado."


La visite d'un Sibérien lâchant inlassablement "Putain de bite !", les moustaches d'un phoque ou une sortie en patins à glace viennent parfois briser cette délicieuse solitude. Fidèle au "never complain" de Peter Fleming, son lointain prédécesseur en équipées tatares, Tesson a l'élégance de ne jamais se plaindre du froid ou de la fatigue, lors de ses sorties en kayak ou de ses ascensions aux confins de son domaine. C'est qu'il est tout à sa vie intérieure, tiraillé entre hédonisme dionysiaque, panthéisme et doute métaphysique : "Qui suis-je ? s'interroge-t-il. Un couard qui s'alcoolise en silence pour ne pas risquer d'assister au spectacle de son temps ni de croiser sa conscience faisant les cent pas sur la grève."

"Rien ne me manque de ma vie d'avant. Rien"

Ah, la vodka ! On saura gré à Sylvain Tesson de rompre avec le politiquement correct et le prêchi-prêcha à la Thoreau qui dégoulinent si souvent des récits de voyage. Non, l'auteur du Petit Traité sur l'immensité du monde ne carbure pas au jus de carotte bio. Tout comme, dans un autre registre, il avoue cruellement : "Rien ne me manque de ma vie d'avant. Rien. Ni mes biens, ni les miens." A-t-il pour autant trouvé le bonheur dans sa "loge de concierge sur la taïga" ? Des moments de bonheur, oui. C'est déjà énorme.


Au-delà de l'expérience, c'est aussi par le style que Dans les forêts de Sibérie se distingue. Rien d'incongru à ce que ce récit paraisse sous la couverture blanche de Gallimard. Géographe littéraire, Sylvain Tesson excelle à restituer l'intensité de son voyage immobile à coups de formules : "La fuite est le nom que les gens ensablés dans les fondrières de l'habitude donnent à l'élan vital", etc. Au risque, peut-être, d'abuser de ce qu'il appelle lui-même ses "aphorismes de sous-préfecture". On a parfois l'impression qu'à vouloir enfermer le Baïkal dans le carcan oraculaire, il laisse en chemin un peu de la liberté déliée qui, parfois, sied à la rêverie du promeneur solitaire. Il n'empêche : on se régale à lire ce croisement entre Jean-Jacques Rousseau et Bear Grylls, le héros survivaliste de la série télé culte Man versus Wild. Un croisement détonant comme une vodka par - 32 °C.

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